Ha oui ? (+ PLUS)

En saignement.

S'il est des sujets sensibles, l'enseignement n'en fait pas parti. Au royaume de l'enfant roi, les spécialistes de tout poil et les démagogues sont rois. S'il apparaît quelques contradictions entre ces deux groupes, tous sont d'accord pour ne jamais aborder les problèmes sous un joug réaliste voire sensiblement corrélé à une certaine réalité.

L'enseignement est une activité noble qui ne souffre aucune interférence avec la réalité. Telle fut la devise enseignante durant de nombreuses années. Si cette philosophie n'a pas posé plus de problèmes que cela durant de nombreuses années, elle a été fortement mise à mal par l'évolution sociétale et culturelle. Cette évolution a su combiner le magnifique traditionalisme du 19ème siècle à la non moins magnifique pensée progressive post-soixante-huitarde. Rendement et liberté, la créativité pour un meilleur retour en arrière. Une sorte d'uchronie est en train de se mettre en place: Zola rencontre Bill Gates et Hugo, le crétin à la pomme. Ils sont des temps où les compromis ne forment pas les meilleurs choix.

Apprendre se dissocie, lentement et sûrement, de comprendre.
C'est l'effet rendement. Un dicton plus ou moins déformé par nos soins disait: « Donnes un poisson à un affamé et il mangera du poisson une fois. Apprends lui à pêcher et il en mangera tous les jours. ». L'enseignement moderne a choisi la voie de la première partie de ce dicton. Il faut aller vite, faire apprendre et récolter le plus rapidement possible sans se soucier d'un prochain ensemencement. A rechercher le meilleur rendement, on confond gavage et élevage, gras et muscles.

L'accès à la réussite est devenu la réussite pour tous.
La démarche louable d'aider les élèves en difficulté est devenue une perversion. Face aux difficultés rencontrées, la solution est devenue une baisse constante des niveaux (la grammaire sacrifiée, les mathématiques limitées à la technique...). L'équation, sans doute brillamment établie par des spécialistes "en demander moins pour obtenir une meilleure qualité" ne s'est pas réalisée. Nous avons demandé moins pour en obtenir moins. C'est le principe même de l’entraînement qui nous est brillamment démontré: moins on s’entraîne moins on progresse.

La psychologie au pouvoir.

L’enseignement, le bêta test du psychologue. Et quel meilleur sujet que nos chères têtes blondes? La structure rigide de l'enseignement ne convient pas aux développements personnels de l'enfant. Il faut alléger les programmes, faire plus d'activités créatives... Progressivement, l'école devient une crèche qui permet de faire garder ses enfants à moindre coût. L'école a perdu son autorité au profit de... Heu, rien? Le symbolisme est clair, les premières écoles étaient des monuments à l'image des tribunaux, hauteur, profondeur, escaliers, des structures écrasantes ou imposantes. Que sont-elles devenues? Des structures jolies, fragiles, convertibles? Et s'il faut élever les enfants dans une structure non rigide, alors retirons les de leurs familles également. En effet, les familles semblent plus rigides qu'une école: multi-hiériarchie, règlement pour tout ou presque... La meilleure éducation pour les enfants serait de les abandonner sur une île dès leur sevrage terminé. Ils s'épanouiraient dans la nature et pourraient développer leurs talents comme ils l'entendent. L'enfant roi de la jungle est l'enfant du futur.


Ces trois points, habilement revêtus de gras, ne sont pas anodins. Ils sont les signes de notre temps, du modèle culturel qui se dessine et que tous adultes, tout en le refusant pour leur enfants, mettent en place et favorisent. Les craintes sont reportées sur les enfants et leur éducation, exutoire suprême qui absout les agissements inverses.
Les formations deviennent rapidement un terrain concurrentiel. Et si pour un certain temps, la concurrence fait émulation; avec le recul, nous nous rendons rapidement compte qu'elle nivelle généralement vers le bas. Les prix ne baissent pas, on préfère créer des sous-marques aux critères souvent moins restrictifs. Si cet aspect concurrentiel n'est pas nouveau pour certains domaines éducatifs, il risque de bouleverser la donne dans d'autres domaines. Les sciences en France ont été le premier domaine concurrentiel, compétition entre universités et écoles d'ingénieurs. Pour quel bilan? De plus en plus d'écoles d'ingénieurs publiques et privées recrutent des étudiants d'un niveau de plus en plus bas et forment des ingénieurs de moins en moins performants. Et n'allez pas nous citer les quelques écoles qui tirent leur épingle du jeu. De plus, avec les lois sur la concurrence, la disparition progressive du secteur publique d'éducation s'amorce et la séparation entre bonnes écoles et écoles ne peut que s'accentuer. L’enseignement devient un secteur économique, pour le plus grand plaisir d'au moins 53.06% des Français.

Le niveau baisse? Est-ce une réalité? Je ne pense pas que les jeunes soient plus stupides que leurs aînés. Ils sont simplement conditionnés aux travers de notre époque; et si les anciens savent qu'ils marchent sur la tête, les dernières générations n'ont jamais vu comment se tenir sur ses pieds. L'action avant l'analyse, le résultat quelque soit le moyen, l'instant avant la durée. Télévision, internet, musique, cinéma, radio, jeux video, lectures, tout va dans ce sens (pour le moment inévitable et peut-être bientôt unique). Sur cette voie, la jeunesse retrouve un état naturel, écologique, brut. Une sorte de retour vers l'animalité. C'est le choc de civilisations, après des années de progrès, après des années à s'enorgueillir de culture et de savoir, le nec plus ultra est le minimum d'énergie: réussir au moindre effort. Nous nous repaissons de millionnaires incultes, de self-made men et autres icônes peopolo-économiques. Si Alain Decaux a donné envi à des personnes de faire de l'Histoire, de visiter un château ou un musée, de lire un livre, quelles envies peut bien susciter Jean-Pierre Pernaut? Alors pourquoi apprendre? Pourquoi savoir? L'enseignement est devenu la formation. La formation doit mener à une fonction existante alors que la formation devrait apporter de nouvelles fonctions. C'est le but de l'évolution humaine, apprendre pour plus que manger. Mais où est le désir? Il se cultive. Nous sommes en train de l'enterrer.

Ce sont les adultes qu'il faut reformer. Qu'est-ce qui traumatise un enfant? Une mauvaise note, ou la sempiternelle question: « alors tu as de bonnes notes? ». Ce sont les adultes qui apprennent aux enfants à craindre les notes et les jugements. Une note est juste un indicateur, rien de plus. Nous en avons fait un gouvernail. Nous avons uniformisé un système, mais nous avons oublié qu'à l'intérieur il y a des gens, inégaux. Et nous jugeons uniformément. Les premiers à critiquer sont souvent les premiers à juger. Baccalauréat à 18ans, diplômé à 21ans, 23ans, 26ans. C'est la norme que nous avons instauré. C'est la norme que nous appliquons. C'est la norme que nous critiquons. C'est la norme que nous trouvons injustes. C'est la norme...

Nous sommes les enfants de nos parents, de leurs envies et de leurs espérances. A ne rien attendre de tout, à rire des utopies, à rejeter les différences, nous ne nous sommes pas reproduits, nous nous sommes clonés. Nous avons engendré des ersatzs d'adultes, un concentré de névroses et de mal être. L'expérience a mal tourné et nous n'accusons que le résultat. Quand les professionnels de l'enseignement, les experts des ministères et académie s'expriment, nous n'entendons que des propos de maquilleuses. L'enseignement n'est pas en danger, il est juste un révélateur de troubles beaucoup plus généraux. Et si l'éducation n'est pas portée à une plus vaste échelle générationnelle, alors il y a peu de chance de rétablissement. Et ce n'est certainement pas en cachant sa descendance dans les recoins d'un établissement privé que les choses s'amélioreront. Ca sera juste un déni de liberté supplémentaire. Mais à quoi sert la liberté? Quels bénéfices nous rapporte-t-elle?


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